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Mini-Transat 2005 : Interview de Hervé Favre | |
Hervé, peux-tu nous raconter ce qu'a vécu Alex pendant cette première étape ? Vous l'avez vu sortir du chenal et mettre les voiles pour rejoindre la ligne de départ, au large de Fort Boyard. A 17h. 17, le départ a été donné, ce qui a provoqué beaucoup de stress et d'émotion. Au départ, il y avait beaucoup de vent, et la plupart des concurrents ont pris un ou deux ris, (= abattu un peu la voile) pour réduire la puissance et ne pas risquer une gîte trop importante (coucher trop le bateau) et la casse. Dans ces moments, il faut essayer de passer devant le peloton, pour manœuvrer plus à l'aise. Puis la nuit est tombée rapidement, très noire. Au lever du jour, Alex était en première position. Dimanche, les vents forts et réguliers ont poussé les bateaux au portant (par l'arrière); grâce au spi (grande voile bombée tout en avant), une vitesse moyenne de 10 nœuds (= 18km/h) a été maintenue, ce qui donne vraiment de fortes sensations. Il n'y a pas eu de tempête, mais ces vents forts ont permis de pulvériser le record de plusieurs heures. A ce moment, au passage de la pointe sud de l'Espagne (Cap Finistère), Alex a choisi une route un peu plus au sud que ses concurrents, espérant trouver des vents plus forts près des côtes. C'était peut-être une option risquée. Les vents en rafales lui ont littéralement explosé le spi, qui s'est enroulé en lambeaux autour du mât. Alex a dû alors grimper dans le mât, à plus de 12 mètres de haut, au moyen d'un harnais et de coinceurs. Il a bagarré cinq heures, ballotté par les vagues et le vent, pour décoincer les lambeaux de spi. Puis, malgré son épuisement, il a tenté de réparer la voile avec du ruban adhésif spécial et de la couture, mais cela n'a pas tenu.
Il n'avait pas embarqué un autre spi de réserve ? Il faut savoir que les concurrents n'ont droit qu'à huit voiles en tout. Alex a trois spis de tailles différentes. Il a donc pu installer un spi moyen, mais évidemment ça l'a désavantagé par rapport aux autres. C'est d'ailleurs extraordinaire qu'il ait pu finir septième de la première étape dans de telles conditions. Cela explique qu'il est arrivé évidemment un peu déçu, et surtout épuisé: quand on navigue sous spi, on n'utilise pas trop le pilote automatique, on passe tout son temps à barrer… et on ne dort pas beaucoup A bord nous avons un kit de réparation, mais c'est du bricolage provisoire. Depuis son retour, les commissaires de course l'ont autorisé à s'envoler à Barcelone avec son spi pour le réparer. Mais il n'a pas le droit de le changer, sinon il écope une pénalité de 24 heures. Les voiles sont marquées d'un sceau au départ, on ne doit pas tricher.
Est-ce qu'Alex a pu dormir ? manger ? Quand on s'engage dans une traversée en solitaire, il faut apprendre à dormir d'une manière très différente. On alterne des courts moments (20 minutes) de sommeil avec des temps de veille de deux heures. On évite de tomber dans le sommeil profond (dont on a de la peine à se réveiller), on ne dort que d'une oreille - comme le chat - on continue à entendre les bruits du bateau. Et puis, on ne voit pas très loin devant soi, à cause de la rotondité de la Terre), et en 20 minutes, on ne risque pas les mauvaises rencontres et les collisions avec un cargo. Si le temps s'y prête, avec l'aide du pilote automatique, on peut parfois dormir une bonne heure. C'est une habitude qui n'est pas naturelle, il faut l'apprendre. Pour manger, on embarque de la nourriture lyophilisée, qu'on fait bouillir très rapidement. On ne cuisine pas vraiment. Et on a l'obligation d'emporter quelques dizaines de litres d'eau potable.
Et en cas d'accident ou d'avarie grave? On a un appareil avec deux boutons: un pour prévenir qu'on a un ennui technique mais qu'on peut se débrouiller seul; un autre pour lancer un SOS. Dans ce cas, l'organisation prévient un cargo qui passe dans les parages et qui récupère le navigateur, mais le bateau est perdu. Le bateau est insubmersible. Même rempli d'eau, il ne coule pas, car il est équipé de ballasts en mousse sagex. En cas de gros problèmes, le navigateur dispose d'un radeau de survie gonflable avec une petite "tente" et quelques biscuits pour tenir jusqu'à ce qu'on le récupère. C'est rare, mais il arrive parfois qu'un navigateur imprudent ou malchanceux se perde en mer. C'est pourquoi nous devons (presque) tout le temps nous attacher au bateau, même si cela gêne un peu dans les manœuvres.
Et quand repartent les concurrents pour Salvador de Bahia? Le deuxième départ est pour le samedi 8 octobre de Lanzarote. D'ici là, les concurrents doivent se reposer, réparer ou entretenir le matériel, prendre des informations météo et préparer leur tactique. Il y a encore des concurrents en mer. On attend pour que tous puissent repartir ensemble, dans de bonnes conditions, avec la même météo pour tous. La deuxième étape est deux fois plus longue que la première et ne se courra pas si vite. Ils auront d'abord un long bout au portant avec des vents modérés à forts, les alizés, puis ils traverseront le "Pot au Noir" où les vents très faibles peuvent handicaper certains bateau. Puis une partie au vent de près, où les bateaux tireront des bords (=zigzagueront pour remonter contre le vent). En dernier, vraisemblablement du portant à nouveau, mais gare à la casse (il y a deux ans, les deux premiers ont démâté en vue de l'arrivée)! Un retard de 10 heures sur le premier n'est jamais définitif, Alex n'a pas perdu toutes ses chances. ALLEZ A-LEX ! Notes transcrites par JMR |
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